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M le Président dans le train Paris-Berlin.

3 Février 2012 , Rédigé par C

L’excitation était à son comble dans le salon VIP de la gare. Les familles des ministres, les amis étaient tous là. Ils tenaient à accompagner les heureux voyageurs jusqu’au marchepied du TGV qui allait les ravir à leur affection pour quelques jours !

 

Sur l’écran plat plaqué au mur tendu d’un tissu bleu et encadré des drapeaux nationaux allemand et français, le débat de la veille entre M.Fillon et Mme Aubry n’attirait aucun commentaire pour la bonne et simple raison que personne ne le regardait hormis M.Fillon qui tenta, sans succès et avec un peu d’agacement, d’y intéresser M.Sarkozy. Celui-ci entouré par les présentateurs vedettes des 20 Heures de TF1 et France2 plaisantait et jouait à qui perd gagne sur sa candidature supposée, présomptive. Les deux présentateurs se tenaient par la barbichette et ni l’un ni l’autre ne voulait rire le premier pour ne pas avoir la tapette même si, les deux en avaient furieusement envie tant cette comédie, cette bouffonnerie commençait à devenir pesante.

 

La voix suave de la speakerine de la SNCF appela les passagers du TGV 2536 au départ de Paris-Gare du Nord à destination de Berlin-Hauptbahnhof de bien vouloir se présenter au départ. Les ministres, dans un joyeux et indescriptible brouhaha, se précipitèrent vers le quai 35 au grand dam de la sécurité et les passagers habituels médusés virent passer devant eux la petite troupe hurlante des ministres poursuivie par des costauds en costumes trois pièces qui gesticulaient et se bousculaient pour s’approcher, au plus prêt, de ceux qu’ils devaient protéger.

 

Le wagon de première classe avait été aménagé pour accueillir ces passagers particuliers et relooké en salon confortable. Mme Morano voulait à tout prix un siège dans le sens de la marche pour ne pas être malade, on le lui donna. Certains voulaient être assis à côté du président mais seuls deux d’entre eux purent le faire et s’agrippèrent aux accoudoirs. Ils étaient à peine assis que le train s’ébranla en douceur devant une foule de curieux massés sur le quai qui agitaient leurs mouchoirs bleu, blanc, rouge.

 

Chacun avait ouvert son dossier et faisait semblant de s’y intéresser. Ils étaient inquiets car le Président était resté très évasif sur les buts de cette équipée et ils se demandaient à quelle sauce ils allaient être mangés. De plus il n’y avait pas M.Estrosi ni M.Lellouche pour les faire rire et donc l’atmosphère pesante s’alourdissait au fil des caténaires. La frontière n’était plus loin. NKM se dépêcha de finir sa tasse de thé qui refroidissait et la reposa près de la madeleine spongieuse qui se balançait mollement dans la soucoupe à chaque changement de direction d’un TGV impassible à cheval sur ses deux rails.

 

Le Président quitta le livre d’Edgar Morin qu’il tenait à l’envers depuis le départ, ce qui lui avait permis de s’absoudre d’une conversation sans intérêt entre M.Fillon et M.Wauquiez sur les mérites comparés du soutien-gorge à bandeau ou du soutien-gorge push-up, et, s’adressant à Mme Kosiusko-Morizet et à M. Besson, il leur demanda de se préparer à descendre à Biblis. Ce nom ne disait rien à M.Besson mais arracha une moue de dépit à NKM qui comptait bien faire les vitrines à Berlin.

« Je veux, dit-il, que vous vous renseigniez sur le retard pris par nos amis allemands pour la mise en œuvre de centrales au gaz et au charbon pour compenser l’arrêt de leurs réacteurs. En 2010 nous avons importé 8 000 mégawatts ! Peuvent-ils nous assurer que nous pourrons le faire cette année vu les températures sibériennes qui envahissent l’Europe ? Je ne voudrais pas qu’après avoir senti le vent du boulet avec les Japy d’Yssingeaux je me retrouve à chercher de l’électricité pour éviter les coupures à Nice où mon copain Estrosi ne me le pardonnerait pas. »

NKM qui pensait encore à ses courses loupées et à l’élection de 2017, ne pipa mot. Elle qui ne perd jamais une occasion de se faire remarquer, regarda M.Besson et le Président et, interrompant le silence qui avait succédé à cette déclaration, dit : « Mr le Président, les Allemands vont construire des éoliennes off-shore au nord et développent le solaire. Nous n’avons donc pas de soucis à nous faire pour notre approvisionnement. De plus si F.Hollande est élu, la France construira des EPR et le problème ne se posera plus ! »

 

Le Président allait bondir de son fauteuil pour faire rendre gorge à la ministre de l’écologie quand M.Besson lui posa délicatement la main sur l’avant-bras, le regarda dans les yeux et, se tournant vers NKM, lui dit : «  Sauf que pour transporter l’énergie éolienne offshore du nord vers le sud où sont les usines il va falloir  construire 4 500 kilomètres de lignes TTHT (Agence de l’énergie allemande) et que cela ne se fera pas d’un claquement de doigts. Quand à nous, si on veut leur acheter de l’électricité il faudra aussi développer le transport THT et vous savez que vos amis écolos s’y opposeront par tous les moyens. Non, non, M le Président, ce qu’il nous faut c’est gagner du temps, laisser les Allemands faire leurs usines au gaz et au charbon et le contribuable allemand payer son électricité beaucoup plus cher qu’en France et nous verrons bien.  Pitié, ne prenons pas exemple sur nos collègues allemands, je sais que certains d’entre nous en ont fait leur mot d’ordre mais soyons réalistes, ce n’est pas à 80 jours de l’élection qu’il faut leur dire que le mégawatt/heure éolien en Allemagne coûte 90 euros, l’offshore 150 et le solaire 370 et que c’est l’énergie électrique la plus chère au monde ! »

 

Le train s’arrêta en gare de Biblis et NKM et Besson plus adversaires que jamais descendirent sur un quai désert, frigorifiés et abasourdis. Le TGV redémarra les laissant seuls sur le quai. Au loin, les vapeurs de la centrale atomique s’échappaient des deux tours jumelles et se diluaient dans le ciel comme les espoirs de NKM, le nez tout rouge et les doigts de pieds gelés.

 

Le Président appela M.Bertrand qui prit la place laissée libre par NKM. Il voulait être sûr que Bertrand n’allait pas se prendre les pieds dans le tapis tant le sujet du coût du travail et du chômage était sensible et tant ils avaient dit d’âneries ces derniers mois.

« Bertrand, pas de lézard ! Tu ne dois t’intéresser qu’à ce qui va bien. Tu me fais une fiche sur le coût du travail, moins cher en Allemagne et sur le chômage moins important de ce côté-ci du Rhin compris.

-          Mais M le Président vous savez que les Allemands sont minés par le temps partiel. Ici la durée moyenne, je sais ce que vous allez me dire, les moyennes …Les moyennes…

-          Continue, je ne t’ai encore rien dit,

-          Donc M le Président, la durée moyenne du travail est de 30,3 heures par semaine, on est loin des 35 heures et en plus les Allemands sont moins productifs que nous !

-          T’en a d’autres comme ça ?

-          En 10 ans l’Allemagne a créé 2 millions d’emplois partiels.

-          Eh bien tu vois, quand tu veux…

-          Oui mais nous on a créé, pendant le même laps de temps, 2 millions d’emplois à temps plein.

-          Mais alors c’est quoi qui cloche ?

-          Le SMIC M le Président ! Le Smic ! Les allemands n’ont pas de Smic et les 10%  des salariés les moins bien payés touchent 259 euros par mois, les 10% suivants 614 euros par mois. C’est les chiffres de la DIW !

-          Tu veux dire qu’ils sont plus mal payés qu’en France ?

-          Hé oui, le coût du travail, depuis les réformes Schroëder – le plan HartzIV- a diminué au détriment des salariés qui se sont appauvris. C’est peut-être pour ça qu’ils font moins d’enfants depuis 10 ans !

-          Conneries ! Des conneries tout ça. Ils vivent bien, non.

-          Leur espérance de vie est passée de 77 à 75 ans depuis ces dernières années mais ce doit être la crise qui est responsable.

-          Ouais ! Je comprends. Si on ne peut pas dire que c’est à cause du socialiste Schroëder il faut bien trouver autre chose et la crise, la crise, ma foi, c’est bon !

Bon tu me mets tout ça en forme, tu me fais un topo sur la retraite à 67 ans sans dire que dans les deux ans, après ce que tu viens de m’expliquer ça va faire remonter le chômage ! D’accord ?

 

Le Président se replongea dans son livre pour bien montrer que l’entretien était clos.

Il regarda Fillon, Le Maire, Wauquiez perdus dans leurs pensées.

Ceux-là, pensa t-il, ont déjà les yeux tournés vers 2017 ! Ils en ont rien à faire que je me plante dans trois mois. Ils le souhaitent même ! Mais mes agneaux, si je suis battu vous me suivrez dans mon île d’Elbe, je ne vous laisserais pas tomber, dussè-je vous emmener jusqu’à Ste Hélène !

 

Le Président jeta un coup d’œil circulaire au wagon du train Paris-Berlin. Il vit un vulgaire wagon de seconde classe qui sentait le tabac froid, aux sièges élimés, à la moquette tachée. Le train ralentit, ils étaient arrivés à Berlin. Il faisait gris, humide et froid. Le modèle allemand, le modèle allemand, le modèle allemand…Un miséreux frappait à la vitre et tendait la main. M Sarkozy hurla : demi-tour, demi-tour, on rentre à Paris !

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